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Établir que la “journée” qui était censée “avoir fait” la tunisie contemporaine n’a pas existé, tel paraît être le maigre bilan de cette lecture comparée des différents narrateurs auxquels nous en devons le récit. ce n’est pas en juillet 1705 que hussein ben ali prit le pouvoir suprême à tunis ; ce n’est pas en juillet 1705 que l’autorité des beys se substitua officiellement à celle des deys, mais en janvier 1706. mais prouver ainsi que la dynastie husseinite a eu l’étrange coquetterie de se vieillir de quelque six mois à peine, quelle importance? des intérêts et des valeurs étaient en cause, dont semble témoigner le soin vigilant avec lequel la présentation de ce semestre de la vie tunisienne a été traitée. si hussein bey a voulu que son ministre-historiographe hussein khodja fasse partir son investiture de rabiaa-al-awwal 1117 h., c’est qu'il pensait qu’au choix de cette date était liée la légitimité même de cette investiture. en faisant de la nomination au titre de bey, effectivement intervenue en juillet 1705, une élection à la dignité d'imâm, de chef de l’état, hussein bey rejetait dans l’illégalité ceux qui, entre juillet 1705 etjanvier 1706, ont contesté sa suprématie, mohammed lasfar et ibrahim chérif lui-même. en même temps, il modifiait l’éclairage des événements qui avaient précédé. devenue élection légitime et régulière, la nomination de juillet 1705 n’apparaissait plus comme la conséquence de la longue série d’intrigues et de manœuvres qui avaientjalonné la difficile collaboration de hussein ben ali avec ibrahim chérif. par-delà, étaient niées toutes les divergences politiques qui avaient opposé les deux hommes. les opinions d’ibrahim chérif, et la véritable signification de son œuvre, étaient passées sous silence et les mobiles qui l’avaient animé contre le régime mouradite ramenés à un mouvement de vertueuse indignation contre le monstrueux mourad, indignation partagée par l’ensemble de la population tunisienne, et par hussein ben ali lui-même. ce qui était effacé d’un trait, c’était l’existence de deux partis se partageant depuis des décennies l’opinion tunisienne ; un parti arabe et un parti turc. en niant l’existence de ces deux partis, hussein ben ali apparaissait comme l’élu d’une umma unanime, et évitait de faire figure de chef d’une faction. il évitait surtout de faire figure d’un champion de la faction arabe. on comprend difficilement pourquoi le souci du déguisement a pu aller si loin, et plus difficilement encore comment il a pu être possible, sans une référence au contexte politique dans lequel se situe la carrière de hussein ben ali. a priori un rapprochement s’impose: les rapports entre la turquie et la régence de tunis sont des rapports de métropole à colonie, les turcs de la régence sont des soldats-colons, et les arabes sont les indigènes. la lutte du parti arabe contre le parti turc paraît alors se ramener à la lutte d’un parti nationaliste, autonomiste tout au moins, contre un parti colonialiste, englobant les “colons” et quelques “collaborateurs”. dans cette optique, le déguisement auquel le champion du parti arabe a recours, paraît relever de la tactique tendant à éviter l’accusation de séparatisme, qui peut le désigner à la répression coloniale. mais le parallélisme des situations n’est pas total. colonisateurs et colonisés professent la même religion et cette religion est l’islam. ils ont donc les uns et les autres une référence morale et juridique commune, la loi coranique. le colonisateur, musulman, ne pouvait s’avouer comme colonisateur d’autres peuples musulmans. les habitants musulmans de toutes les possessions turques, même les plus lointaines, étaient censés être égaux en droits. réciproquement, le colonisé, musulman, ne pouvait avouer rejeter l’autorité d’un calife qui était censé n’exercer d’autorité sur lui qu’en tant que prince des croyants. cependant, en turquie même, une catégorie de sujets bénéficiait de droits et privilèges spéciaux. non seulement de facto mais de jure, les janissaires, en tant que compagnons d’armes du sultan, avaient le droit d’élire le sultan, de lui faire des remontrances et de le déposer. les soldats des corps expéditionnaires qui, après la conquête des régences d’afrique mineure, avaient été maintenus en garnison dans les pays, conservaient leurs droits et privilèges de janissaires. c’est en application de ces droits qu’il leur arrivait de renvoyer certains pachas, de refuser l’exécution de certains ordres venus de la porte, de procéder à certaines réformes telles que l’élargissement du divan, ou l’institution des deys. si violentes qu’en puissent être les manifestations, ces revendications n’impliquaient jamais, ne pouvaient impliquer, une sécession à l’égard de la métropole. en leur donnant son agrément, la sublime porte ne s’inclinait pas seulement devant le fait accompli, son approbation était de droit. le fait que les populations autochtones étaient laissées en dehors de cette vie politique active était lui aussi légal: les droits politiques étaient légalement réservés aux compagnons d’armes du sultan, les indigènes en étaient exclus parce qu’ils n’étaient pasjanissaires, non parce qu’ils étaient d’une race autre que turque. le divorce entre le fait et le droit commence à se faire jour lorsque ces miliciens acceptent de se décharger sur d'autres des obligations militaires qui constituaient la justification logique - et fiscale - de leurs privilèges. le recrutement des troupes auxiliaires indigènes (zouaouas, spahis) créa de nouvelles catégories de combattants auxquelles il eût fallu, pour être logique, accorder les droits civiques reconnus aux janissaires eux-mêmes. longtemps, on sut éviter d’en arriver là, en ne demandant pas à ces troupes auxiliaires un service régulier, en n’acceptant leur intervention que par intermittence. mais bientôt, le service armé ne fut plus qu’une obligation théorique pour de très nombreux turcs de la régence de tunis, qui préféraient consacrer leur temps à des occupations plus lucratives: agriculture, industrie et surtout commerce. non seulement la collecte des ressources nécessaires au payement de la solde des miliciens dépendit de la bonne volonté des contribuables arabes d’une part, des auxiliaires arabes et de leurs chefs d’autre part, mais ce qui était plus grave, l’exercice de leurs occupations lucratives en dépendit aussi: se substituer aux beys et à leurs troupes pour assurer le service du camp, c’eût été abandonner les comptoirs et ateliers de tunis. ce qui compliquait encore plus la situation, c’était que, pour des considérations techniques, on avait été amené à spécialiser dans l’encadrement de ces troupes indigènes des mamelouks, c’est à dire des affranchis, convertis de fraîche date. plus facilement que les turcs de souche ils ont su se plier aux servitudes de ce genre de tâche. pour des considérations techniques analogues, on a dû accepter que devienne héréditaire, de facto sinon de jure, la fonction de bey. les beys purent bénéficier d’une situation privilégiée parce qu’elle était ambiguë: parce qu’ils étaient convertis, ils étaient assimilés à des turcs, parce qu’ils étaient turcs et soldats, ils étaient citoyens actifs. mais parce qu’ils encadraient des auxiliaires arabes, parce qu’ils parlaient leur langue, ils étaient considérés par les populations arabes comme des “enfants du pays”. cependant, en droit, ces beys demeuraient les simples délégués de leurs pairs, les janissaires - citoyens actifs. si les janissaires élisaient comme deys les candidats désignés par les beys, c’était uniquement parce qu’ils tenaient compte d’une situation de fait. les crises de 1684, de 1694, de 1702, de 1705-1706 semblent avoir constamment opposé des factions qui prétendaient, les unes (parti turc) remettre le fait en accord avec le droit, les autres (parti arabe) mettre le droit en accord avec les faits: soit plier les beys à la suprématie de la milice et de ses chefs élus les deys, soit faire reconnaître légalement par la milice la suprématie des beys. en application même des textes qui réservaient aux janissaires l’exercice de tous les droits politiques, le pouvoir central de istanbul n’avait à intervenir dans ces contestations que dans la seule mesure où l’allégeance à la métropole turque était en cause. en dehors de ce cas-limite, la non-ingérence de la métropole dans les affaires des provinces était de droit, et pas seulement simple abdication devant le fait accompli. toute l’habileté du parti arabe consistait à donner à ces luttes le caractère de contestations, violentes certes, mais intérieures, entre diverses tendances de la milice. du fait de l’existence des mamelouks, juridiquement turcs et miliciens, il était toujours possible au parti arabe de se prévaloir d’être lui aussi dirigé par un des miliciens-citoyens actifs, ayant le droit de contester les prétentions d’autres miliciens-citoyens actifs. certains cas s’étaient présentés cependant où le caractère anti-turc des menées de ce parti n’avait pu échapper à la sublime porte. la sublime porte avait, dans ces cas, chargé les miliciens d’alger de rappeler à l’ordre les voisins dissidents. mais la logique même du système exigeait que les miliciens d’alger se retirent après avoir rétabli la légalité: c’està-dire après avoir mis les miliciens de tunis en mesure de procéder à des “élections” normales. les conditions sociologiques restant les mêmes, les mêmes problèmes ne manquaient pas de se poser bientôt après. telle doit être la signification des “récidives” mouradites en 1694 et en 1702, après les expéditions algériennes de 1684 et de 1694.en 1702, les excès et les débauches de mourad iii ont facilité et justifié une intervention plus caractérisée: ibrahim chérif a entrepris une véritable restauration des institutions et usages perdus de vue dans la régence de tunis. cette entreprise prétendit certes tenir compte du contexte tunisien: le cumul des titres de bey et de dey, le maintien en fonction de certains “cadres” du régime mouradite en sont la preuve. mais ces précautions ne suffirent pas à désarmer la vigilance du parti arabe. bien au contraire, ils lui fournirent les points d’appui nécessaires à un travail de sape systématique. trois ans lui ont suffi pour venir à bout d’ibrahim chérif. mais la défaite de juillet 1705 aboutissait à rétablir les équivoques antérieures au coup d’état de juin 1702, les conditions, par conséquent, d’une nouvelle épreuve de force entre parti arabe et parti turc. hussein benali cependant n’était pas homme à laisser cette épreuve de force se terminer sur une nouvelle équivoque. il tint à faire reconnaître, légalement, par la milice elle-même, la suprématie du pouvoir du bey sur celui de dey. ayant obtenu cette reconnaissance, il semble avoir attaché du prix à effacer dans l’histoire du pays tout ce qui pouvait le faire passer, et faire passer les beys ses prédécesseurs, pour les chefs d’un parti anti-turc. il voulut faire oublier que mohammed ben mourad avait proposé ses services à moulay ismaïl ; il voulut faire oublier que mourad iii avait projeté, en accord avec le bey de tripoli, khalil, une expédition tenant à détruire alger et l’empire turc d’afrique; il voulut faire oublier qu’ibrahim chérif avait pour objectif l’abolition du régime des beys et la restauration du régime aristocratico-militaire d’antan. vidés de leur signification politique, tous ces événements ont été ramenés à des oppositions personnelles, ayant des motivations psychologiques ou morales. comprendre l’orientation et l’ampleur de l’effort systématique ainsi accompli pour nous donner une certaine image des événements, c’est apprendre à lire des documents d’autant plus précieux qu’ils sont rares. c’est aussi se préparer à découvrir, derrière les oppositions psychologiques et morales des personnes, et sans pour autant les négliger, les antagonismes d’intérêt qui ont opposé des groupes humains plus vastes et dont nous commençons à peine à soupçonner l’originalité fondamentale en même temps que l’universalité
Originaire de metline, azzedine guellouz est né à tunis en 1932. après une scolarité au collège sadiki, il entreprend des études universitaires à paris, d’abord au lycée louis-le-grand en classes de lettres supérieures et de première supérieure (1950- 1952), puis à la sorbonne (1952-1954) où il obtient une licence de lettres modernes (dont un certificat de latin) et une licence d’arabe. historien et littéraire, spécialiste du xviiie siècle, azzedine guellouz a soutenu, à la faculté des lettres d’aix-en-provence, un des en histoire moderne intitulé l'avènement de hussein bey, fondateur de la dynastie husseinite, 13juillet 1705, ( 1965). agrégé en lettres modernes (1966, classé 3e), il soutient en 1992, à l’université de paris iv-sorbonne, son doctorat d’état en histoire, la méthode historique de l'abbé raynal. lors de l’indépendance de la tunisie, il s’est également engagé dans des études administratives et économiques à l’institut d’etudes politiques (1955-1956) et à l’école nationale d’administration de paris (promotion «18 juin 1956-1958», section économique et financière), au titre d’élève étranger. cette double formation supérieure devait orienter sa carrière en tant qu’universitaire en tunisie et à l’étranger et haut responsable dans des fonctions administratives tunisiennes et des charges diplomatiques. carrière universitaire en tunisie et à l’étranger-. enseignant au centre d’études et de recherches économiques et sociales (ceres), tunis (1958-1960) ; professeur invité à l’université de californie (usa) (1965); assistant puis maître assistant à la faculté des lettres et sciences humaines detoulouse ( 1966-1971); enseignant au centre d’études industrielles de toulouse (1969-1971) ; maître assistant à la faculté des lettres et des sciences humaines de tunis (1971-1974) ; maître de conférences associé en histoire moderne à l’université de paris i-sorbonne (1988-1991) ; professeur invité à l’université de paris iv-sorbonne (1982-1992). fonctions administratives tunisiennes et charges diplomatiques'. chargé de mission au cabinet du sous-secrétaire d’état au plan, puis chef de service à la direction du plan (1957-1959); président directeur général de la société tunisienne du sucre (1959-1962); responsable de la division des programmes à la direction du tourisme (1963) ; directeur puis directeur général de la bibliothèque nationale de tunisie (1974-1982); ambassadeur délégué permanent de la tunisie auprès de tunesco (1982- 1987); consultant auprès de tunesco (1987); membre du conseil de réflexion sur l’islam en france et du haut conseil de la francophonie (1990-1993). azzedine guellouz est officier de la légion d’honneur de la république française et commandeur de l’ordre de la république tunisienne
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